Mesurer la performance énergétique des bâtiments est obligatoire depuis environ dix ans. Mais, c’est aujourd’hui, en pleine crise énergétique, que le PEB s’invite dans le débat. Non sans poser des questions.
Qualité douteuse, manque de pertinence, grand écart entre Régions… On a beaucoup parlé, en mal surtout, de la certification PEB (pour « mesure de la performance énergétique d’un bâtiment ») ces dernières semaines. C’est que ce bout de papier a été propulsé, en une crise énergétique, au centre de l’attention. Au cœur de la polémique, un catalyseur : le fait qu’il détermine désormais, au moins pour une année, l’indexation ou non des loyers.
Mais, initialement, à quoi sert ce document ? Qu’indique-t-il à un propriétaire ou à un locataire ? Qui est responsable de son élaboration ? L’écart entre les politiques régionales est-il réel et, si oui, problématique pour le commun des mortels ? On a décortiqué ce qui, en réalité, est bien plus qu’un bout de papier.
A quoi sert la certification PEB ?
Mesurer la performance énergétique des bâtiments, c’est avant tout une obligation européenne. Le concept date de 2002 et a été progressivement précisé – une dernière révision de la directive en question est en cours. Chez nous, l’énergie est une matière régionalisée : Wallonie, Bruxelles et Flandre ont donc, à des moments différents (entre 2009 et 2013), pondu chacune leur propre base réglementaire, en se basant sur ce que l’on savait à l’époque de la performance énergétique des parcs immobiliers régionaux.
Important à rappeler : les bâtiments sont l’une des principales sources de consommation d’énergie dans nos pays. En augmentant leur efficacité énergétique, on diminue les émissions de C02, on lutte contre la précarité énergétique et contre la vulnérabilité du particulier par rapport aux prix de l’énergie. Le certificat PEB, c’est essentiel à comprendre, est un outil conçu pour influencer le marché, pensé comme un incitant à la rénovation pour le parc existant.
Un rôle précis mais manqué jusqu’à présent. « C’était une obligation administrative de plus pour un propriétaire. Il n’influait pas sur la vente ou la location d’un bien, il n’avait aucune valeur et personne ne s’en préoccupait. Il est clair qu’aujourd’hui la donne a changé », nous explique un gros propriétaire bruxellois, qui gère environ 700 appartements. Le problème du financement est ici central. « On a compris, avant la crise déjà, qu’il fallait tout reprendre à zéro car les banques exigent depuis quelques années un reporting précis à ce niveau », ajoute notre interlocuteur. « Elles ne financeront plus à l’avenir n’importe quel type de bâtiment. » La PEB jouit effectivement d’une influence croissante sur la valeur et le financement du marché immobilier.
Récemment, le certificat s’est invité dans d’autres matières pour servir une mesure de protection sociale – la non-indexation des logements trop énergivores – ou encore fiscale – la Flandre et bientôt Bruxelles conditionnent son résultat à des diminutions des droits d’enregistrement dus lors de l’achat d’un bien.
« On est tenté de l’utiliser désormais à toutes les sauces et il est évident que l’instrument n’a pas été conçu pour cela », constate Geoffrey Van Moeseke, professeur en physique des bâtiments à l’UCLouvain. « Cependant, c’est le seul outil dont on dispose et il a le mérite d’exister. Si un cercle vertueux est enclenché et que le bâti est plus et mieux rénové, ce n’est pas une mauvaise chose… »
Que dit et que ne dit pas un certificat PEB ?
Précisons-le : cette analyse se concentre uniquement sur le certificat PEB pour les logements existants, puisque c’est lui qui fait l’objet de tous les débats actuellement. Il existe en effet d’autres variantes de la mesure de la performance énergétique d’un bien selon qu’il soit neuf, affecté au secteur tertiaire ou d’appartenance publique.
Vous tenez peut-être actuellement, comme beaucoup de vos concitoyens, ce précieux sésame entre vos mains ? Qui sait, vous êtes sur le point de vous décider à acheter un bien ? Sachez d’abord que l’authenticité et la validité de ce PDF protégé peuvent normalement être vérifiées grâce à son numéro unique. Un certificat PEB est répertorié pour ce faire dans une base de données régionale – à Bruxelles, elle est consultable en ligne.
Ensuite qu’il est centré sur un indicateur principal : la consommation d’énergie primaire du bien – exprimée en kilowattheure. Ce chiffre est théorique : il est totalement déconnecté de la consommation réelle car cette dernière est variable selon les profils – pour s’y intéresser, c’est un audit énergétique qu’il faudra réaliser (lire ci-dessous). Il repose donc en partie sur des hypothèses standardisées, comme la température, le taux d’occupation, etc. De cette manière, on peut comparer des biens entre eux.
Pour l’obtenir, un certificateur agréé doit réaliser sur place – on nous assure qu’un travail à distance est interdit et impossible – une série de relevés : superficie, degré d’isolation du toit, des murs, type de chauffage et d’énergie(s) utilisés, etc. Ces relevés seront ensuite encodés dans un logiciel de calcul – chaque Région a développé son propre programme informatique. Il en ressort un indicateur qui s’inscrit sur une échelle allant de A++ à G (ou F pour la Flandre). Plus on avance dans l’alphabet, plus le bien est potentiellement énergivore. Depuis environ cinq ans, le document précise également de manière standardisée le type de rénovation à effectuer pour améliorer le score obtenu et le gain énergétique potentiel à l’arrivée.
La certification PEB est obligatoire pour toute habitation dès sa mise en vente ou en location. Elle a une validité de dix ans.
La certification PEB est-elle de mauvaise qualité ?
L’outil est imparfait et, surtout, a ses limites. Aucun interlocuteur – politique, administratif, privé, académique – ne le nie.
Parmi les critiques les plus récurrentes émises par les professionnels du secteur et les propriétaires, l’utilisation trop systématique de valeurs par défaut dans les calculs, car fortement pénalisantes. En pratique, le certificateur lors de sa visite ne peut pas toujours attester avec précision d’une rénovation réalisée. Une série de documents (fiches techniques, factures…), sont donc exigés en guise de preuves. Si ces derniers manquent à l’appel, une valeur par défaut est introduite dans le logiciel. Elle influencera très négativement le résultat final en termes de consommation primaire et donc la labellisation. « On est régulièrement dans l’approximation, approfondir est très compliqué sur le terrain. Les valeurs par défaut sont trop utilisées et ont trop d’influence », nous expliquent plusieurs actuels et anciens certificateurs.
« Il faut bien comprendre qu’un choix économique a été fait : il ne fallait pas que la certification coûte trop cher et prenne trop de temps », justifie Yves Mortehan, responsable du département PEB chez Bruxelles Environnement. On a donc préféré, pour pousser à la documentation, pénaliser le propriétaire qui manquait de justificatifs. « Il est évidemment possible d’aller plus loin dans l’analyse et des dispositions sont détaillées à ce niveau dans les différentes législations, mais alors il faut plus de temps, plus d’argent », précise encore le professeur Van Moeseke. « Or vu le peu d’intérêt pour l’outil de la part des propriétaires jusqu’à présent, ces analyses plus fouillées n’ont pas été réalisées de manière générale. On a donc sans doute, dans les trois Régions, un parc plus performant que mesuré. »
Autre bémol : le passage parfois impossible de la théorie à la pratique. « Le PEB bruxellois recommande des rénovations (isolation des différentes façades notamment) sauf que l’urbanisme ne suit absolument pas : les permis sont longs, complexes ou impossibles à obtenir. Il faut un effort de ce côté-là également si l’on veut que ça fonctionne », témoigne, entre autres, Marie, architecte et ancienne certificatrice. Ce problème serait moins marqué en Wallonie, notamment depuis l’introduction du code du développement territorial (CoDT) qui allège et simplifie ce type de démarches.
Enfin, pour la confiance dans l’outil, la mauvaise réputation de la profession de certificateur n’aide pas. Si, au sud du pays, on a encadré l’accès à l’agrément dès son introduction en 2010, à Bruxelles, à l’époque, tout le monde pouvait y prétendre. « Sans caricaturer, on pouvait être boucher et certificateur en indépendant complémentaire sur la base de la réussite d’un examen, à l’issue de quatre jours de formation », explique Yves Mortehan. « On n’a pas tenu compte non plus de l’implication et de la motivation réelle des gens. Ceux qui voulaient faire du chiffre l’ont fait. »
En 2017, suite à plusieurs audits négatifs, l’administration bruxelloise s’est calquée sur le modèle wallon, en réservant principalement le métier aux architectes et aux ingénieurs. Un examen type baccalauréat a également été introduit. « On est passé, non sans problème, de 1.250 certificateurs à 185 aujourd’hui », ajoute Yves Mortehan.
Le contrôle est partout désormais en place. Bruxelles débutera très prochainement un coaching et une vérification administrative sur deux ans de tous ses certificateurs agréés. La Wallonie a introduit la formation permanente depuis 2018. Reste à gérer l’héritage du passé. « Ce n’est pas un secret, les certificats d’avant 2017 ne sont pas tous de bonne qualité. On a fait le choix d’attendre leur mort naturelle (leur validité est, pour rappel, de 10 ans, NDLR) », précise encore le responsable bruxellois.
La fraude serait actuellement « marginale » dans les deux Régions, les plaintes « rarement fondées » également.
La régionalisation de la matière est-elle un « vrai » problème ?
Comme déjà précisé, chez nous, l’énergie n’est pas une affaire fédérale. Chaque Région a donc développé sa méthode de calcul de la PEB – les équations seraient cependant « à peu près » partout les mêmes – et décidé de son échelle de labellisation, en fonction de la nature de son parc immobilier. Et, bien évidemment, de ses priorités politiques. A Bruxelles, où le tissu est par définition urbain, un appartement ou une maison sera plus rapidement classé G qu’ailleurs. Un biais négatif, comme certains le soutiennent ? « La Région bruxelloise possède une part importante d’appartements, et tout un chacun sait que ce type de logement aura des surfaces de déperdition nettement moindre qu’une maison quatre façades : son score énergétique en sera dès lors affecté positivement. L’échelle des classes énergétiques n’est, en résumé, pas plus sévère dans une Région que dans une autre », assure-t-on au cabinet d’Alain Maron, ministre bruxellois de l’Environnement (Ecolo).
Si la nomenclature n’est pas homogène, ce qui n’aide pas à la bonne compréhension du grand public, l’indicateur central, soit la consommation d’énergie primaire, devrait alors permettre la comparaison. Sur ce point cependant, personne n’est d’accord et la vérification est complexe à effectuer. Certains avancent que la pondération de l’un ou l’autre prélèvement, le calcul de la superficie ainsi que les valeurs par défaut utilisées diffèrent trop, d’autres estiment que les méthodologies sont suffisamment proches.
Reste à déterminer si la coexistence de trois systèmes constitue réellement un problème pour le particulier. « Les hypothèses et les échelles fixées sont différentes mais logiques et cohérentes au sein de chaque Région. Elles ne posent problème que lorsque l’on souhaite comparer des logements situés au sud, au nord et au centre du pays. Là où ça coince, c’est que ce découpage administratif ne correspond pas à la réalité sociologique du marché. Les gens sont mobiles, c’est particulièrement vrai pour la périphérie bruxelloise », conclut Geoffrey Van Moeseke.
Vous ne voyez pas comment faire la différence entre un certificat PEB et un audit énergétique ? On vous explique. La première nuance est de taille : alors que le PEB est obligatoire lorsqu’on met un bien en vente ou en location, l’audit se réalise sur une base strictement volontaire. Autre différence notable : l’audit donne accès à des primes. Celles-ci sont d’ailleurs « assez substantielles pour le moment, s’il n’y a pas du tout d’isolant dans le bâtiment en tout cas », commente Amandine Lebrun du bureau Eureca.
De façon plus concrète, l’audit va servir à établir une feuille de route des rénovations à entreprendre tandis que le PEB dresse un état des lieux du bâtiment à un moment T. « Sur la base du relevé effectué lors de l’audit, on va émettre des conseils d’amélioration énergétique à court, moyen et long terme pour arriver à un objectif qui est la classe énergétique A d’ici à 2050. » Tout cela en tenant compte du budget disponible pour effectuer les différents travaux de rénovation. « L’auditeur doit à la fois conseiller sur tout ce qui est amélioration énergétique, mais il doit aussi prioriser en fonction de la personne qu’il a en face de lui et du budget disponible. » A l’heure actuelle, il n’existe d’ailleurs aucune obligation de suivre les différentes étapes reprises dans l’audit jusqu’au bout. « Ce qu’on veut éviter, c’est le saupoudrage : faire des travaux qui devront être démontés dans quelques années parce qu’on n’a pas anticipé certaines choses », insiste l’auditrice.
Bien qu’un certain nombre de primes soient désormais accessibles sans audit, elles sont cependant limitées à un montant de 3.000 euros. Avec l’audit, ces montants sont plus conséquents (à retrouver en détail sur energie.wallonie.be). Concernant le prix, il faut compter entre 900 et 1.500 euros pour réaliser un audit. A noter qu’en Wallonie, une prime existe. Elle varie de 150 à 990 euros en fonction des revenus et de la composition du ménage et peut couvrir un maximum de 70 % de la facture.
© Le Soir – 25.10.22